Artiste visuelle
texte mnémonique
(texte, 2021)
Dans le cadre du cours « Séminaire thématique 1 », décrire une vielle inventée.
Entre poésie et oeuvre d'art, ce court exercice a tourné en une image personnelle de la mémoire, rattachant le vécu aux lieux qui le portent.
En voici l'intégralité :
Les yeux ouverts, observer le fantôme actif des moments vécus dans le lieu où vous êtes. Où étiez-vous assis par rapport à la lampe-méduse violette lors de la discussion sur le texte de Duras ? Pouvez-vous voir ce moment et le moment présent se superposer ?
Fermer les yeux et s’étendre à d’autres lieux. (Réaliser que c’est les yeux fermés qu’on voit le mieux les choses autres que la réalité).
Naviguer parmi les strates composant les lieux vécus. Des moments d’un autre temps et des lieux qui existent encore (possiblement). Des couches de réalité superposées au présent et rattachées aux lieux qui les ont abritées. Aux couleurs délavées, semi-transparentes. Comme si l’on regardait à travers un voile.
Se mouvoir dans cet univers diaphane.
S’imaginer dans les menus détails la cour de mon école primaire : la couleur des briques; l’endroit où étaient les grosses poubelles; les envirions, près des modules de jeux en métal, où Alexanne a cassé sa palette gauche.
Savoir le motif du prélart usé de la maison de ma grand-mère et me demander s’il y est encore; la couleur des mille-et-une soirées dans le sous-sol, le poteau de soutien central éliminant un angle très précis pour jouer aux pool.
La maison chez mes parents que j’appelle encore chez nous par défaut. Les anciennes tuiles de la cuisine sur lesquelles je marchais en damier. Les tentatives de pâtisseries faites avec les restants de pâte à pâté mexicain sur la table de la cuisine. Les éclairs de chaleur orange entre les nuages vus du patio tard le soir cet été-là.
Par ces souvenirs, créer une géographie fragmentaire du vécu avec, comme interstices, les lieux qu’on a pas foulés. Déceler des nœuds, des accumulations, des piles; mesurer la plus haute pour comprendre d’où l’on vient.
Déconstruire la ligne du temps pour superposer les temps.
Dérouler le tout en une carte mentale consultable dont la lecture n’est accessible qu’à soi.
Un réseau de villes invisibles qui s’arrête là où l’on est pas encore allés.